0,957 ´ 10-10 m a 105,3o
Une mesure dharmonieFernando Carvalho Rodrigues
Professeur de la Universidade
Independente - Lisbonne
Une étoile envoya un messager. Un atome dhydrogène. Celui-ci rencontra un émissaire venu dune autre étoile. Un atome doxygène. Ils sympathisèrent sur le champ. Ils avaient un langage en commun. Ils partagèrent un électron. Ils gardèrent leur distance. Exactement 0,957 ´ 10-10 m pour aller jusquà un autre atome dhydrogène. Ils avaient un langage en commun. Un autre électron. Ces deux électrons engendrèrent des dipôles opposés. Ils se rendirent compte quils pouvaient coexister à 105,3º lun de lautre. Ils avaient découvert un voisinage dharmonie. Cette harmonie procura la stabilité à une molécule. On lappelle leau.
Cette molécule deau était en bonne santé. Elle était juste et parfaite. Elle avait la paix. Cétait une molécule heureuse.
Comme toutes les choses heureuses, les molécules deau éprouvaient un vif plaisir à être ensemble. Tout près, elles sentaient les ondes des marées de leurs électrons. La crête de londe et la période de ces marées dépendaient de la température et de la pression. Selon son amplitude, leau pouvait être un solide, un liquide ou un gaz.
Quel que fût son état, leau recherchait le permanent et le contingent. Dans les comètes voyageait, glacée, létendue de lunivers. Près de chaque étoile elle brillait dans leur propre flamme. Sur les planètes elle rencontra des voisins.
Sur lune delles, la radiation dune étoile fit apparaître les températures et les pressions adéquates. Presque à son gré, leau pouvait devenir solide comme une roche, pouvait couler comme un liquide, se dilater comme un gaz.
Sur cette planète-là, la grêle et la neige tombèrent. Des glaciers reculèrent, des glaciers avancèrent. Des océans se vidèrent, des océans se remplirent. Des mers se contractèrent, des mers sétendirent. Des fleuves séchèrent, des fleuves débordèrent. Des brouillards et des nuages se dissipèrent puis réapparurent.
Cétait une planète faite pour que leau fût libre. Leau voulut démontrer sa gratitude. Avec son harmonie, son dipôle électrique, leau fut le ciment de la vie.
Létoile, cest le Soleil. La planète, cest la Terre. Sur cette planète lun des voisins de leau dit quil est Homo sapiens sapiens. Il a une opinion.
Comme on aime avoir son opinion! On sest toujours entretenu dans la conjecture causale. On a développé une énorme habileté pour agencer des arguments, pour expliquer le passé et pour le prévoir. On répète souvent: il est probable que... Cette probabilité ne signifie pas hasard. Non! Cest une démonstration de certitude vis à vis de nimporte quoi.
Là est la méthode qui nous permet de produire presque tout, du néant, de lesprit. Une fois que lon a doublé le cap de la peur, notre capacité de tisser la merveille, avec les fils de linconnu, ne connaît pas de limites.
Nous voulons propager cette merveille et notre opinion. Cest un impératif biologique. Cest un besoin que de faire connaître son opinion. Cest le résultat de milliards dannées dévolution. Elle a surgi de lunité indivisible de lUnivers. Elle a été chantée par José Saramago:
De moi à létoile un pas me sépare:
Feux de cette lumière quelle dispersa
Lors du boum fortuit de léclosion,
Dans la nuit qui fut et qui sera,
La gloire solaire de la raison.
Nous recherchons les autres pour leur transmettre de linformation: la différence qui perturbe. Limpulsion irréductible daller trouver des voisins est la réponse puissante de la nature à ce que nous appelons intelligence. Cest la nature qui nous pousse vers lharmonie. Le premier pas pour la santé, la justice, la paix, lamour et le bonheur.
Cest là que se trouve notre incessante recherche du prochain, des voisins. Il nous faut les voir. Il nous faut les toucher. Nous avons hâte de leur dévoiler corps et âme. Nous avons besoin de leur déclarer notre moi. Il nous faut, pour cela, leur affirmer qui nous sommes, ce que nous pensons. Nous avons le désir permanent de partager notre ego.
Cela commença par être difficile. Mais en lan 311 av. J.-C., les Romains construisirent une route terrestre la voie Appienne. Les légions romaines y marchèrent tout le long, à travers lespace, plus vite que jamais vers les batailles du Sud de lItalie.
A partir de ce commencement si modeste, lhumanité découvrit que lon pouvait, avec ces routes terrestres, construire un réseau. A travers celui-ci, beaucoup plus de gens pouvaient entrer en contact les uns avec les autres durant leur temps de vie.
Lextension du voisinage de chaque être augmenta infiniment. Une famille patricienne qui vivait à Odrinhas, recevait des questions du Sénat. A travers les routes terrestres, elle faisait connaître son vote, à Rome, en huit jours. On payait pour voyager sur ces routes, On avait inventé le passeport et le péage.
Lexistence même de ces routes et leurs réseaux provoquèrent une croissance considérable de léconomie. De nouvelles nations émergèrent. Une nouvelle loi fut créée. Une religion se diffusa jusquaux limites du réseau routier terrestre.
Des milliers dannées durant les routes terrestres furent lunique moyen efficace de partir et daller à la rencontre des voisins.
Et puis un beau jour, voilà six cents ans, le génie portugais découvrit quil était possible daller plus vite à travers lespace, daugmenter le nombre et la nature des voisins, ainsi que le volume des échanges de marchandise, et saventurant dans les océans.
Celle-ci fut la découverte initiée par les Portugais. Larrivée à tel ou tel endroit, le passage de tel ou tel cap, la résolution de telle ou de telle difficulté, pour quelque héroïques quils eussent été, ne furent que de simples épisodes.
La découverte en question cest que, dans cette planète, lhomme et toutes les autres espèces peuvent voyager, dans lespace, beaucoup plus rapidement à travers les routes maritimes. En conséquence, le voisinage de toutes les espèces atteignirent des proportions sans précédent. Une fois de plus, la croissance des économies fut grande. Les Portugais avaient osé donner une destinée aux gens du monde entier.
Cest dire que, et ce plusieurs centaines dannées durant, il ny eut de disponibles que des routes terrestres et maritimes.
Pendant les premières années du XXe siècle le génie américain commença à croiser les chemins de lair. A travers eux, le voisinage se dilata considérablement. Le temps se contracta proportionnellement.
Au temps où il ny avait que des routes maritimes, ceux qui étaient proches dun homme porteur dun virus à courte durée dincubation étaient peu nombreux. Sil embarquait, son bateau narrivait jamais nulle part. Aujourdhui, il monterait un avion. Quelques heures plus tard, le voilà qui débarquerait quelque part sur la planète. On ne le connaît pas. Mais cest lui notre prochain, notre voisin, à nous tous.
Notre Moi et le Moi de lautre, pour plus éloignés quils soient lun de lautre, se trouvent proches dans la distance du temps. On voyage vite par avion. Et pas seulement lhumanité. Toutes les espèces ont rencontré de nouveaux voisins. Elles vivent dans des milieux nouveaux. Notre propre espèce, à travers les routes terrestres, maritimes et aériennes vit dans tous les habitats générés par le Soleil et par la Terre.
Chaque année, nous rencontrons de nouvelles espèces: quelques-unes sont des animaux et des plantes dune grande complexité, dautres sont de simples créatures unicellulaires et des virus. Eux aussi sont nos voisins. Nous en aimons quelques-uns, nous en détestons dautres. Les uns nous attaquent. Dautres, on les extermine sans raison valable. Quelques-uns nous paraissent si étranges que nous les traitons comme de véritables extra-terrestres. Quoi quil en soit, ils sont tous nos voisins.
A la fin des années 50, le génie russe entreprit ses méthodes pour partir en direction à lespace extérieur. Une nouvelle recherche commença. Notre espèce est en train de larguer ses amarres davec la Terre. Nous sommes sur le point de nous libérer de cette vulnérabilité dhabiter une seule planète. A ce moment précis nous commençons à apprendre à vivre dans le milieu le plus agressif que lhomme ait jamais rencontré: lespace extérieur:
Le 20 juillet 1969, deux Américains marchèrent sur la Lune. Vingt quatre hommes y laissèrent les traces de leurs pas. Dans mille ans, elles seront la griffe du XXe siècle.
Après ce moment glorieux sinstalla une étrange apathie dans lhumanité. Des illusions dune société sans risques, nous recueillons, aujourdhui ses angoisses. Bien connaître la planète Terre et se lancer à travers le Système solaire et au-delà, ne sont quapparemment des objectifs différents. Aucun deux na de limite.
La découverte dune nouvelle route, quimporte le temps que cela a pris, a toujours fait naître un ensemble de nouveaux voisins. Leur apparition saccompagne dune prospérité croissante. Dabord, pour ceux qui ont eu le talent, lénergie et le courage de la découvrir et de la parcourir. Ensuite, le processus de diffusion traditionnel la répand par toute lhumanité et, de plus en plus, par tous les habitants de la planète.
Cependant ces grandioses découvertes de lhumanité contiennent en elles-mêmes des limitations. Il est difficile de faire passer des routes terrestres à lencontre de la géographie et de la géologie du terrain. On ne construit pas des navires qui seraient contraires aux principes de lhydrodynamique. On ne senvole pas sans obéir aux lois de laérodynamique. Les voyages dans lespace doivent se plier aux lois de la gravitation. Et, la thermodynamique nous assure que dans un système clos lentropie croît toujours.
Sur toutes ces routes nous transportons, à une vitesse chaque fois plus vertigineuse, notre Moi. Pour y voyager nous devons exercer le corps et lâme, le Moi, de façon à ce quil ne se rebelle pas contre linconfort. Dans cette compulsion frénétique du départ, nous devons être prêts pour toutes les rampes de lancements. Le Moi doit être préparé pour supporter presque linsupportable. Même ainsi, nous vivons anxieux de partir. Bien souvent nous natteignons pas notre but.
Mais chaque fois que lon a découvert une nouvelle route, nous avons été capables de produire plus en un temps égal. Avec lapparition de chaque nouvelle route, dans ce même intervalle, nous nous sommes chaque fois pressés davantage jusquà ce que on a fini par se dire les uns et les autres: je nai pas le temps.
Voilà le commentaire que lon entend le plus souvent à propos de la gestion de son temps. Cela était inévitable. Chaque route a contracté le temps de façon significative.
Labbé Correia da Serra vivait à Mount Vernon. Il était conseiller de Thomas Jefferson. Une lettre quil eût écrite pour Lisbonne lui demandait quarante jours pour y arriver. Sil eût besoin dune réponse de son voisin au Portugal, cétait, au minimum, quatre-vingts jours dignorance. Le maintenant de Mount Vernon était séparée du maintenant de Lisbonne au XVIIIe siècle, par un écart de quarante jours.
Dans mon village, à Casal de Cinza, nous navons appris linstauration de la République que le 10 octobre 1910, ce qui ne fit grand changement En 1910, du maintenat de Lisbonne à celui de ce village, perdu dans les montagnes, à quatre cents kilomètres de la capitale, il y avait cinq jours de retard.
Aujourdhui, on transporte le Moi dune personne quelconque dun endroit quelconque à un autre sur notre planète en vingt heures. Cest, aujourdhui, le temps limite pour le Moi.
Mais, dans le village le plus lointain, nous pouvons prendre notre téléphone mobile et communiquer avec le point le plus éloigné de notre planète en quatre secondes. A présent, le maintenant dici, se trouve être le maintenant de partout.
Cette immense contraction du temps entre voisins doit, forcément, se passer dans un réseau dune nouvelle espèce de routes. On les appelle les autoroutes de linformation. Elles ont apporté la séparation à lunité de notre individu.
Elles ne transportent pas notre Moi, notre personne. Elles nemportent que notre ego.
Elles ne laissent pas circuler le Moi, le "Pèlerin aux pas lents". Ny voyage que lego, le "Voyageur de pensées".
Ce second, lego, cest la source de lopinion, de linformation. Cest lorigine de la conjecture sur les causes. Cest où le sentiment sinclut dans tout le contenu du conscient.
Cest où le changement est plus rapide.
Sur les autoroutes de linformation lego fait ce quil a toujours fait: raconter aux autres, chaque fois plus fréquemment, les événements réels ou imaginés. Quelques-uns disent même que lego engendre la pensée comme le mouvement du temps.
Les nouvelles routes de linformation permettent que cet ego coule presque à la vitesse de la lumière. Elles le font parce que nos atomes de matière ne coulent pas en elles. Elles ont été conçues pour faire passer linformation. Sur les routes de linformation, parce que le Je ne passe pas, le penseur nest rien que sa pensée et, très vite, lobservateur devient celui qui est observé.
Sur ces toute nouvelles routes, le passage du Moi nest pas autorisé. Il y a le péage, bien sûr, mais cest pour le passage de lego.
Et quel traffic sur ces nouvelles routes!! En les parcourant, la vitesse de communication entre les egos a augmenté, de telle façon que nous avons été engloutis dans le plus vaste voisinage auquel nous ayons jamais appartenu.
Il nest pas étonnant quà notre époque, lon prenne les egos, auxquels lon accède rapidement, pour les Moi dont nous sommes avides. Il est si facile doublier que lego soccupe de la propagande du Moi.
Lego, générateur dinformation, source de communication, nest pas capable de connaître la nature profonde de tous les nouveaux voisins quil rencontre sur ces nouvelles routes. Comment peut-il donc y avoir une opinion publique?!
Dans quelques villages esquimaux les jugements sont encore rendus par lopinion publique. Pour que lego ait une opinion légitime sur les actes dune autre personne, il faut quil la connaisse dans son for intérieur. Dans ces villages tout le monde connaît le Moi et lego de tout les autres. Lopinion publique existe.
A nous, elle nous est interdite. Dans ce formidable voisinage, que nous avons créé avec les autoroutes de linformation, ce nest que propagande.
Cest peut-être là la raison. Peut-être. De vouloir, tellement, vivre avec son Moi dans un petit village et partager son ego, avec tous les autres voisins des réseaux routiers de linformation, dans ce présent global.
De toute façon, la propagande tue le privé. Nous savons que ce nest que dans lintimité, avec nous-mêmes ou avec autrui, que lhomme peut trouver le bonheur incertain.
Aujourdhui, on rabâche tout le temps que lon vit dans un monde dincertitude. Nous y avons toujours vécu. Mais avec toutes ces nouvelles routes au service de ce voisinage gigantesque, on confond certitude avec infaillibilité. Infaillibles, nous ne le sommes pas!
Il y a toujours eu des accidents. Dès quune nouvelle route souvre, les grands dangers sont là, et les perspectives fantastiques.
Il y avait de fréquents mauvais coups sur les routes terrestres jusquà la fin du siècle dernier. Aujourdhui encore, il y a des décharges de polluants en haute mer, bien que la loi pour les Océans ait commencé à être suivie au XIXe siècle. Il y a quelques lois pour les routes aériennes. Il en existe à peine dans lespace extérieur. Elles sont absentes pour les autoroutes de linformation.
On doit sarmer de détermination et de courage pour aller circuler sur les nouvelles autoroutes. Cela a toujours été ainsi.
On nous exige un permis de conduire pour les routes terrestres. Avec un plus grand degré dexigence on peut nous donner le commandement des routes de la mer et de lair. Pour aller dans lespace extérieur ou dans les profondeurs de lOcéan, nous avons besoin de nous entraîner intensément. Pour les autoroutes de linformation, où il nen est différemment.
Cest parce quelles sont les plus récentes de toutes les routes, que nous trouvons là les grandes opportunités. Mais, cest là aussi que nous guettent, aujourdhui, les pires de tous les pirates. Ils sont près à assaillir. Ces nouveaux voleurs de grands chemins vont semparer de lego. Ils vont nous voler ce que nous sommes. Cest une attaque à notre identité par le trais de ce que nous pensons. Cest à cet ensemble dassauts quon appelle guerre dinformation. Comme elle na jamais été déclarée, il est difficile quil y ait, un jour, un armistice. Menés seulement par les sens, nous sommes très vulnérables. La défense, elle, est dans les convictions. Elles prennent du temps à se construire. Et nous, nous navons pas le temps.
Pour être en sécurité sur les autoroutes de linformation, les requis éducatifs, culturels, éthiques et, par conséquent, écologiques sont très supérieurs à ce quil est nécessaire pour rouler sur les autres routes.
Effort et dévouement, cela en vaut la peine. A chaque fois quon ouvre une nouvelle route, entre les pauses de la peur, nous gagnons de nouvelles ailes de liberté. Sur ces très, très nouvelles routes, cest la liberté daller avec mon ego jusquà lego dun autre en quatre secondes.
Le signe convenu entre un ego et un autre ego est celui de toujours. Il vient de lorigine et de la survie de notre espèce. Je suis vivant; ne compte pas, ou compte sur moi.
Quel que soit le cas, sillonner ces très, très nouvelles routes est si exigeant que seuls quelques-uns, pas beaucoup, sy aventurent. La grande majorité est, pour le moment, sur le trottoir en train de voir passer le trafic.
Malgré tout, nous avons déjà assisté à une énorme expansion de léconomie. Lesdites autoroutes de linformation, ces routes pour lego, ont déjà produit une plus grande confiance entre voisins.
Avant lapparition des routes de linformation, et en conséquence de louverture des routes des Océans, on avait inventé le papier-monnaie. Cela aidait à construire la confiance entre voisins. Sur toutes les routes, où notre Moi rencontre un autre Moi, il nous faut un ensemble datomes rangés dans des morceaux de papier. Souvent sale et vieux. Cela suffit cependant pour que les autres voisins nous donnent des choses, des marchandises. On les échange contre ces morceaux de papier froissé.
Aujourdhui, quand on demande à quelquun: quand avez-vous vu votre argent pour la dernière fois? On voit de lautre côté un visage tout étonné. Aujourdhui, on est seulement informé sur largent. On dirait que cela suffit.
La rencontre ne se fait plus entre les Moi, mais entre les ego. Entre eux, les voisins de lego, sur les autoroutes de linformation, ont construit un degré plus élevé de confiance.
Il y a plus dargent en information sur largent quil y en a en billets. Personne ne sinquiète. Cest que, avec chaque nouvelle route, quelle que soit la dimension des dangers, cest en elle que se trouve la réalisation des grandes espérances.
Rien de cela nest nouveau. Il y a, cependant, une petite différence bien marcante: sur les autoroutes de linformation, notre Moi, individu, occupe toujours sa position dans lespace. Il ne quitte pas sa place. Ces nouvelles routes permettent, quasi instantanément, le voyage et la communication entre les Moi sans la présence physique des individus des Moi.
Que ce soit en mer, dans lair, dans lespace extérieur, sur le chantier, dans lusine, au bureau, à lécole ou chez nous, chaque fois que nous nous asseyons pour nous faufiler au travers des routes de linformation, nos sièges voyagent dans le temps.
Voyager dans le temps! Pour voyager dans le temps, il nous faut un nouveau code. Les règles pour voyager dans le temps doivent être très, très différentes. Même nous, on pense quelles ne peuvent être écrites que dans un livre de prodiges.
Nous nous sentons très orgueilleux de toutes ces sondes que nous envoyons dans lespace.
Voyager à travers le temps?! Ça, cest pour la science-fiction. Cest ce que lon entend dire.
Cependant, quand un enfant vient au monde, où va-t-il? Inexorablement vers le Futur. Il est, par dessus tout, un voyageur du temps.
Par les jours qui courent, les sondes vers lespace et vers les profondeurs de lOcéan font la une des journaux. Nous leur prêtons une attention personnalisée. Nous mettons à leur disposition, avant leur lancement, les meilleurs spécialistes. Car nous savons quil ne peut y avoir de pannes en orbite ou au fond de la mer. Elles seront trop loin pour que nous puissions les réparer.
Et alors, les sondes que nous envoyons en direction au formidable voyage dans le temps, nos enfants? Quand il leur arrivera des problèmes, là-bas, dans le futur, nous ne serons pas là pour les aider. Leur prête-t-on la même attention que pour les sondes qui vont dans lespace? Non!! On na pas le temps! Malgré tous les réseaux de routes terrestres, maritimes, aériennes, lespace extérieur et linformation.
Oui! Nous continuons à affirmer que nous navons pas le temps. Le temps gratuit, un don de Dieu, est devenu rare. Léconomie basique nous dit, alors, que le temps doit avoir ses maîtres et doit être côté en bourse. Et les patrons du temps existent. On les nomme, par tradition, entreprises de télécommunications. Lénergie, ce sont les six soeurs qui sen occupent. Six compagnies détiennent le pétrole. Le temps, lui, il sera la propriété de deux, au maximum, trois.
Ce sont elles qui ont eu laudace et le courage de déblayer les autoroutes de linformation: des millions de kilomètres de circuits de micro ondes, des millions de kilomètres de fibre optique dans la planète, des centaines de satellites en orbite, des milliers de portes sur la Terre et dans lespace.
Elles ont compris que linformation est donnée par les êtres humains. On est comme ça. Cela nous vient de la biologie: lopinion. On paie les annonces. Ça nous fait plaisir quand lego dune autre personne vient nous voir dans le réseau. On est prêt à payer pour la connaissance. On ne le fait ni pour lopinion, ni pour linformation. Cest pour cela que la facture que nous recevons chez nous, dans nos institutions, ne concerne pas linformation, elle na rien à voir avec lopinion.
Nous payons les moments où notre ego rencontre lego de notre prochain sur les autoroutes de linformation. Nous payons le temps. Lego qui voyage à travers elles règle un péage très, très cher aux patrons du temps. On dirait même que cela nous est égal.
Lorsque notre ego voyage à travers les Océans du temps pour atteindre lego dun autre, nous ressentons et comprenons les mots prononcés par Hamlet:
Doute que les étoiles soient du feu
Doute que le Soleil se meuve
Doute de la vérité et du mensonge
Mais ne doute jamais que jaime.
Nous savons que, pour lexpression totale de cet amour, il nexiste aucun substitut pour la proximité de nos êtres dans leur complète intégralité. De même quil ny a aucune alternative pour le fer et pour les pierres qui font ce Pavillon des Océans dans cette EXPO 98. Cest vrai ce que nous dit le poème dEdgar Allan Poe:
Nous ne sommes point impuissantes nous les pierres.
Notre pouvoir nest point perdu ni notre renommée
Ni la magie de notre noble nom
Ni la merveille qui nous entoure
Ni les mystères qui sont en nous
Ni les mémoires qui ne nous ont point lâchés
Et nous enveloppent comme un habit,
Nous, un manteau nous couvre au-delà de la gloire.
Oui, au-delà de la gloire. Au-delà de la mémoire. Au-delà de la magie. Au-delà du merveilleux. Elles sont là pour façonner le temps.
Elles sont le souvenir, pour tous les voyageurs de toutes les ères à venir, de ce que, voilà cinq cents ans, Vasco de Gama et son équipage allèrent jusquà la grève. Les Moi effrayés, les ego armés de défi, les hommes de 1498 partirent.
Se lançant à travers le Tage, ils tracèrent une nouvelle route et y apposèrent la signature de leur siècle. A travers les Océans deau ils ouvrirent le passage à de nouveaux voisins. La plupart dentre eux vit dans les océans et au-delà. On nen connaît pas la plupart. On a seulement le soin den aimer quelques-uns, très peu.
Mais en lannée 1498 , une vague de vive-eau a éclaté. Et il plut sur une grande roche. Une Lapa (grotte). Celle-ci rencontra une onde de la terre. La serra da Lapa (chaîne de montagnes de la Grotte). Un miracle damour se produisit. Une source se transforma en rivière. Un nouveau langage oecuménique surgit. On construisit un Sanctuaire. Une Mission commença. Dans le Sanctuaire de Nossa Senhora da Lapa (Notre Dame de la Grotte), on entendit une parole de bonne volonté. Aujourdhui encore on lentend dans ces parages et elle réverbère par tout le globe, là où il y a un bairro da Lapa (quartier de la Grotte). Cette parole fut, alors, colportée de voisins en voisins, aux quatre coins du monde, sur les océans de leau.
Dans les océans du temps, de notre temps, dans cette EXPO 98, nous vous laissons les vers de Fernando Pessoa pour que, chaque enfant, chaque voyageur du temps,
Aime infiniment le fini
Désire impossiblement le possible
Veuille tout
Ou un peu plus
Sil le peut
Ou même sil ne le peut pas.
et parte. Trace son chemin. Trouve une nouvelle route. Très certainement, hors de lespace...hors du temps. Un de ces jours, il va même nous conduire jusquau voisinage de... lharmonie.
Leau, elle, y a toujours été.
Il y a cela quelque huit cents ans, peut-être un peu plus, un homme comprit, dans toute sa plénitude, cette harmonie. Il naquit dans cette ville de Lisbonne, à cinq kilomètres environ de ce Pavillon océanographique, le 15 août 1195. Lendroit est toujours là.
Il sappelait Fernando. Il lut loraison de Saint François dAssise à notre soeur... leau. Il se fit franciscain. Il changea son nom pour celui dAntoine.
Il sagit de Saint Antoine de Lisbonne. Certains disent quil est Saint Antoine de Padoue car cest là quil mourut le 13 juin 1231.
Un jour il partit pour rendre hommage aux océans et à toutes les créatures qui y vivent dedans.
Ce jour-là, saint Antoine lança son regard sur lAdriatique et vit un grand nombre de ces espèces que nous sommes en train de voir dans ce Pavillon des Océans de cette Expo98. On dit quil leur aura fait sentir combien elles avaient de la chance de vivre dans leau. Dieu les avait épargnées de tous les déluges et de la turbulence des autres éléments. On dit aussi que les sentiments damour et de fraternité qui irradièrent de sa personne furent tels que les poissons et toutes les autres créatures des Océans sémurent et se courbèrent devant lui.
Dans ce Pavillon des Océans, de cette EXPO 98, cest maintenant notre tour de saluer nos frères... de leau, des Océans, et dapprendre une mesure dharmonie.
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