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0,957 ´ 10-10 m a 105,3o

Une mesure d’harmonie

Fernando Carvalho Rodrigues
Professeur de la Universidade Independente - Lisbonne

 

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    Une étoile envoya un messager. Un atome d’hydrogène. Celui-ci rencontra un émissaire venu d’une autre étoile. Un atome d’oxygène. Ils sympathisèrent sur le champ. Ils avaient un langage en commun. Ils partagèrent un électron. Ils gardèrent leur distance. Exactement 0,957 ´ 10-10 m pour aller jusqu’à un autre atome d’hydrogène. Ils avaient un langage en commun. Un autre électron. Ces deux électrons engendrèrent des dipôles opposés. Ils se rendirent compte qu’ils pouvaient coexister à 105,3º l’un de l’autre. Ils avaient découvert un voisinage d’harmonie. Cette harmonie procura la stabilité à une molécule. On l’appelle l’eau.

Cette molécule d’eau était en bonne santé. Elle était juste et parfaite. Elle avait la paix. C’était une molécule heureuse.

Comme toutes les choses heureuses, les molécules d’eau éprouvaient un vif plaisir à être ensemble. Tout près, elles sentaient les ondes des marées de leurs électrons. La crête de l’onde et la période de ces marées dépendaient de la température et de la pression. Selon son amplitude, l’eau pouvait être un solide, un liquide ou un gaz.

Quel que fût son état, l’eau recherchait le permanent et le contingent. Dans les comètes voyageait, glacée, l’étendue de l’univers. Près de chaque étoile elle brillait dans leur propre flamme. Sur les planètes elle rencontra des voisins.

Sur l’une d’elles, la radiation d’une étoile fit apparaître les températures et les pressions adéquates. Presque à son gré, l’eau pouvait devenir solide comme une roche, pouvait couler comme un liquide, se dilater comme un gaz.

Sur cette planète-là, la grêle et la neige tombèrent. Des glaciers reculèrent, des glaciers avancèrent. Des océans se vidèrent, des océans se remplirent. Des mers se contractèrent, des mers s’étendirent. Des fleuves séchèrent, des fleuves débordèrent. Des brouillards et des nuages se dissipèrent puis réapparurent.

C’était une planète faite pour que l’eau fût libre. L’eau voulut démontrer sa gratitude. Avec son harmonie, son dipôle électrique, l’eau fut le ciment de la vie.

L’étoile, c’est le Soleil. La planète, c’est la Terre. Sur cette planète l’un des voisins de l’eau dit qu’il est Homo sapiens sapiens. Il a une opinion.

Comme on aime avoir son opinion! On s’est toujours entretenu dans la conjecture causale. On a développé une énorme habileté pour agencer des arguments, pour expliquer le passé et pour le prévoir. On répète souvent: il est probable que... Cette probabilité ne signifie pas hasard. Non! C’est une démonstration de certitude vis à vis de n’importe quoi.

Là est la méthode qui nous permet de produire presque tout, du néant, de l’esprit. Une fois que l’on a doublé le cap de la peur, notre capacité de tisser la merveille, avec les fils de l’inconnu, ne connaît pas de limites.

Nous voulons propager cette merveille et notre opinion. C’est un impératif biologique. C’est un besoin que de faire connaître son opinion. C’est le résultat de milliards d’années d’évolution. Elle a surgi de l’unité indivisible de l’Univers. Elle a été chantée par José Saramago:

 

 

De moi à l’étoile un pas me sépare:

Feux de cette lumière qu’elle dispersa

Lors du boum fortuit de l’éclosion,

Dans la nuit qui fut et qui sera,

La gloire solaire de la raison.

 

Nous recherchons les autres pour leur transmettre de l’information: la différence qui perturbe. L’impulsion irréductible d’aller trouver des voisins est la réponse puissante de la nature à ce que nous appelons intelligence. C’est la nature qui nous pousse vers l’harmonie. Le premier pas pour la santé, la justice, la paix, l’amour et le bonheur.

C’est là que se trouve notre incessante recherche du prochain, des voisins. Il nous faut les voir. Il nous faut les toucher. Nous avons hâte de leur dévoiler corps et âme. Nous avons besoin de leur déclarer notre moi. Il nous faut, pour cela, leur affirmer qui nous sommes, ce que nous pensons. Nous avons le désir permanent de partager notre ego.

Cela commença par être difficile. Mais en l’an 311 av. J.-C., les Romains construisirent une route terrestre la voie Appienne. Les légions romaines y marchèrent tout le long, à travers l’espace, plus vite que jamais vers les batailles du Sud de l’Italie.

A partir de ce commencement si modeste, l’humanité découvrit que l’on pouvait, avec ces routes terrestres, construire un réseau. A travers celui-ci, beaucoup plus de gens pouvaient entrer en contact les uns avec les autres durant leur temps de vie.

L’extension du voisinage de chaque être augmenta infiniment. Une famille patricienne qui vivait à Odrinhas, recevait des questions du Sénat. A travers les routes terrestres, elle faisait connaître son vote, à Rome, en huit jours. On payait pour voyager sur ces routes, On avait inventé le passeport et le péage.

L’existence même de ces routes et leurs réseaux provoquèrent une croissance considérable de l’économie. De nouvelles nations émergèrent. Une nouvelle loi fut créée. Une religion se diffusa jusqu’aux limites du réseau routier terrestre.

Des milliers d’années durant les routes terrestres furent l’unique moyen efficace de partir et d’aller à la rencontre des voisins.

Et puis un beau jour, voilà six cents ans, le génie portugais découvrit qu’il était possible d’aller plus vite à travers l’espace, d’augmenter le nombre et la nature des voisins, ainsi que le volume des échanges de marchandise, et s’aventurant dans les océans.

Celle-ci fut la découverte initiée par les Portugais. L’arrivée à tel ou tel endroit, le passage de tel ou tel cap, la résolution de telle ou de telle difficulté, pour quelque héroïques qu’ils eussent été, ne furent que de simples épisodes.

La découverte en question c’est que, dans cette planète, l’homme et toutes les autres espèces peuvent voyager, dans l’espace, beaucoup plus rapidement à travers les routes maritimes. En conséquence, le voisinage de toutes les espèces atteignirent des proportions sans précédent. Une fois de plus, la croissance des économies fut grande. Les Portugais avaient osé donner une destinée aux gens du monde entier.

C’est dire que, et ce plusieurs centaines d’années durant, il n’y eut de disponibles que des routes terrestres et maritimes.

Pendant les premières années du XXe siècle le génie américain commença à croiser les chemins de l’air. A travers eux, le voisinage se dilata considérablement. Le temps se contracta proportionnellement.

Au temps où il n’y avait que des routes maritimes, ceux qui étaient proches d’un homme porteur d’un virus à courte durée d’incubation étaient peu nombreux. S’il embarquait, son bateau n’arrivait jamais nulle part. Aujourd’hui, il monterait un avion. Quelques heures plus tard, le voilà qui débarquerait quelque part sur la planète. On ne le connaît pas. Mais c’est lui notre prochain, notre voisin, à nous tous.

Notre Moi et le Moi de l’autre, pour plus éloignés qu’ils soient l’un de l’autre, se trouvent proches dans la distance du temps. On voyage vite par avion. Et pas seulement l’humanité. Toutes les espèces ont rencontré de nouveaux voisins. Elles vivent dans des milieux nouveaux. Notre propre espèce, à travers les routes terrestres, maritimes et aériennes vit dans tous les habitats générés par le Soleil et par la Terre.

Chaque année, nous rencontrons de nouvelles espèces: quelques-unes sont des animaux et des plantes d’une grande complexité, d’autres sont de simples créatures unicellulaires et des virus. Eux aussi sont nos voisins. Nous en aimons quelques-uns, nous en détestons d’autres. Les uns nous attaquent. D’autres, on les extermine sans raison valable. Quelques-uns nous paraissent si étranges que nous les traitons comme de véritables extra-terrestres. Quoi qu’il en soit, ils sont tous nos voisins.

A la fin des années 50, le génie russe entreprit ses méthodes pour partir en direction à l’espace extérieur. Une nouvelle recherche commença. Notre espèce est en train de larguer ses amarres d’avec la Terre. Nous sommes sur le point de nous libérer de cette vulnérabilité d’habiter une seule planète. A ce moment précis nous commençons à apprendre à vivre dans le milieu le plus agressif que l’homme ait jamais rencontré: l’espace extérieur:

Le 20 juillet 1969, deux Américains marchèrent sur la Lune. Vingt quatre hommes y laissèrent les traces de leurs pas. Dans mille ans, elles seront la griffe du XXe siècle.

Après ce moment glorieux s’installa une étrange apathie dans l’humanité. Des illusions d’une société sans risques, nous recueillons, aujourd’hui ses angoisses. Bien connaître la planète Terre et se lancer à travers le Système solaire et au-delà, ne sont qu’apparemment des objectifs différents. Aucun d’eux n’a de limite.

La découverte d’une nouvelle route, qu’importe le temps que cela a pris, a toujours fait naître un ensemble de nouveaux voisins. Leur apparition s’accompagne d’une prospérité croissante. D’abord, pour ceux qui ont eu le talent, l’énergie et le courage de la découvrir et de la parcourir. Ensuite, le processus de diffusion traditionnel la répand par toute l’humanité et, de plus en plus, par tous les habitants de la planète.

Cependant ces grandioses découvertes de l’humanité contiennent en elles-mêmes des limitations. Il est difficile de faire passer des routes terrestres à l’encontre de la géographie et de la géologie du terrain. On ne construit pas des navires qui seraient contraires aux principes de l’hydrodynamique. On ne s’envole pas sans obéir aux lois de l’aérodynamique. Les voyages dans l’espace doivent se plier aux lois de la gravitation. Et, la thermodynamique nous assure que dans un système clos l’entropie croît toujours.

Sur toutes ces routes nous transportons, à une vitesse chaque fois plus vertigineuse, notre Moi. Pour y voyager nous devons exercer le corps et l’âme, le Moi, de façon à ce qu’il ne se rebelle pas contre l’inconfort. Dans cette compulsion frénétique du départ, nous devons être prêts pour toutes les rampes de lancements. Le Moi doit être préparé pour supporter presque l’insupportable. Même ainsi, nous vivons anxieux de partir. Bien souvent nous n’atteignons pas notre but.

Mais chaque fois que l’on a découvert une nouvelle route, nous avons été capables de produire plus en un temps égal. Avec l’apparition de chaque nouvelle route, dans ce même intervalle, nous nous sommes chaque fois pressés davantage jusqu’à ce que on a fini par se dire les uns et les autres: je n’ai pas le temps.

Voilà le commentaire que l’on entend le plus souvent à propos de la gestion de son temps. Cela était inévitable. Chaque route a contracté le temps de façon significative.

L’abbé Correia da Serra vivait à Mount Vernon. Il était conseiller de Thomas Jefferson. Une lettre qu’il eût écrite pour Lisbonne lui demandait quarante jours pour y arriver. S’il eût besoin d’une réponse de son voisin au Portugal, c’était, au minimum, quatre-vingts jours d’ignorance. Le maintenant de Mount Vernon était séparée du maintenant de Lisbonne au XVIIIe siècle, par un écart de quarante jours.

Dans mon village, à Casal de Cinza, nous n’avons appris l’instauration de la République que le 10 octobre 1910, ce qui ne fit grand changement En 1910, du maintenat de Lisbonne à celui de ce village, perdu dans les montagnes, à quatre cents kilomètres de la capitale, il y avait cinq jours de retard.

Aujourd’hui, on transporte le Moi d’une personne quelconque d’un endroit quelconque à un autre sur notre planète en vingt heures. C’est, aujourd’hui, le temps limite pour le Moi.

Mais, dans le village le plus lointain, nous pouvons prendre notre téléphone mobile et communiquer avec le point le plus éloigné de notre planète en quatre secondes. A présent, le maintenant d’ici, se trouve être le maintenant de partout.

Cette immense contraction du temps entre voisins doit, forcément, se passer dans un réseau d’une nouvelle espèce de routes. On les appelle les autoroutes de l’information. Elles ont apporté la séparation à l’unité de notre individu.

Elles ne transportent pas notre Moi, notre personne. Elles n’emportent que notre ego.

Elles ne laissent pas circuler le Moi, le "Pèlerin aux pas lents". N’y voyage que l’ego, le "Voyageur de pensées".

Ce second, l’ego, c’est la source de l’opinion, de l’information. C’est l’origine de la conjecture sur les causes. C’est où le sentiment s’inclut dans tout le contenu du conscient.

C’est où le changement est plus rapide.

Sur les autoroutes de l’information l’ego fait ce qu’il a toujours fait: raconter aux autres, chaque fois plus fréquemment, les événements réels ou imaginés. Quelques-uns disent même que l’ego engendre la pensée comme le mouvement du temps.

Les nouvelles routes de l’information permettent que cet ego coule presque à la vitesse de la lumière. Elles le font parce que nos atomes de matière ne coulent pas en elles. Elles ont été conçues pour faire passer l’information. Sur les routes de l’information, parce que le Je ne passe pas, le penseur n’est rien que sa pensée et, très vite, l’observateur devient celui qui est observé.

Sur ces toute nouvelles routes, le passage du Moi n’est pas autorisé. Il y a le péage, bien sûr, mais c’est pour le passage de l’ego.

Et quel traffic sur ces nouvelles routes!! En les parcourant, la vitesse de communication entre les egos a augmenté, de telle façon que nous avons été engloutis dans le plus vaste voisinage auquel nous ayons jamais appartenu.

Il n’est pas étonnant qu’à notre époque, l’on prenne les egos, auxquels l’on accède rapidement, pour les Moi dont nous sommes avides. Il est si facile d’oublier que l’ego s’occupe de la propagande du Moi.

L’ego, générateur d’information, source de communication, n’est pas capable de connaître la nature profonde de tous les nouveaux voisins qu’il rencontre sur ces nouvelles routes. Comment peut-il donc y avoir une opinion publique?!

Dans quelques villages esquimaux les jugements sont encore rendus par l’opinion publique. Pour que l’ego ait une opinion légitime sur les actes d’une autre personne, il faut qu’il la connaisse dans son for intérieur. Dans ces villages tout le monde connaît le Moi et l’ego de tout les autres. L’opinion publique existe.

A nous, elle nous est interdite. Dans ce formidable voisinage, que nous avons créé avec les autoroutes de l’information, ce n’est que propagande.

C’est peut-être là la raison. Peut-être. De vouloir, tellement, vivre avec son Moi dans un petit village et partager son ego, avec tous les autres voisins des réseaux routiers de l’information, dans ce présent global.

De toute façon, la propagande tue le privé. Nous savons que ce n’est que dans l’intimité, avec nous-mêmes ou avec autrui, que l’homme peut trouver le bonheur incertain.

Aujourd’hui, on rabâche tout le temps que l’on vit dans un monde d’incertitude. Nous y avons toujours vécu. Mais avec toutes ces nouvelles routes au service de ce voisinage gigantesque, on confond certitude avec infaillibilité. Infaillibles, nous ne le sommes pas!

Il y a toujours eu des accidents. Dès qu’une nouvelle route s’ouvre, les grands dangers sont là, et les perspectives fantastiques.

Il y avait de fréquents mauvais coups sur les routes terrestres jusqu’à la fin du siècle dernier. Aujourd’hui encore, il y a des décharges de polluants en haute mer, bien que la loi pour les Océans ait commencé à être suivie au XIXe siècle. Il y a quelques lois pour les routes aériennes. Il en existe à peine dans l’espace extérieur. Elles sont absentes pour les autoroutes de l’information.

On doit s’armer de détermination et de courage pour aller circuler sur les nouvelles autoroutes. Cela a toujours été ainsi.

On nous exige un permis de conduire pour les routes terrestres. Avec un plus grand degré d’exigence on peut nous donner le commandement des routes de la mer et de l’air. Pour aller dans l’espace extérieur ou dans les profondeurs de l’Océan, nous avons besoin de nous entraîner intensément. Pour les autoroutes de l’information, où il n’en est différemment.

C’est parce qu’elles sont les plus récentes de toutes les routes, que nous trouvons là les grandes opportunités. Mais, c’est là aussi que nous guettent, aujourd’hui, les pires de tous les pirates. Ils sont près à assaillir. Ces nouveaux voleurs de grands chemins vont s’emparer de l’ego. Ils vont nous voler ce que nous sommes. C’est une attaque à notre identité par le trais de ce que nous pensons. C’est à cet ensemble d’assauts qu’on appelle guerre d’information. Comme elle n’a jamais été déclarée, il est difficile qu’il y ait, un jour, un armistice. Menés seulement par les sens, nous sommes très vulnérables. La défense, elle, est dans les convictions. Elles prennent du temps à se construire. Et nous, nous n’avons pas le temps.

Pour être en sécurité sur les autoroutes de l’information, les requis éducatifs, culturels, éthiques et, par conséquent, écologiques sont très supérieurs à ce qu’il est nécessaire pour rouler sur les autres routes.

Effort et dévouement, cela en vaut la peine. A chaque fois qu’on ouvre une nouvelle route, entre les pauses de la peur, nous gagnons de nouvelles ailes de liberté. Sur ces très, très nouvelles routes, c’est la liberté d’aller avec mon ego jusqu’à l’ego d’un autre en quatre secondes.

Le signe convenu entre un ego et un autre ego est celui de toujours. Il vient de l’origine et de la survie de notre espèce. Je suis vivant; ne compte pas, ou compte sur moi.

Quel que soit le cas, sillonner ces très, très nouvelles routes est si exigeant que seuls quelques-uns, pas beaucoup, s’y aventurent. La grande majorité est, pour le moment, sur le trottoir en train de voir passer le trafic.

Malgré tout, nous avons déjà assisté à une énorme expansion de l’économie. Lesdites autoroutes de l’information, ces routes pour l’ego, ont déjà produit une plus grande confiance entre voisins.

Avant l’apparition des routes de l’information, et en conséquence de l’ouverture des routes des Océans, on avait inventé le papier-monnaie. Cela aidait à construire la confiance entre voisins. Sur toutes les routes, où notre Moi rencontre un autre Moi, il nous faut un ensemble d’atomes rangés dans des morceaux de papier. Souvent sale et vieux. Cela suffit cependant pour que les autres voisins nous donnent des choses, des marchandises. On les échange contre ces morceaux de papier froissé.

Aujourd’hui, quand on demande à quelqu’un: quand avez-vous vu votre argent pour la dernière fois? On voit de l’autre côté un visage tout étonné. Aujourd’hui, on est seulement informé sur l’argent. On dirait que cela suffit.

La rencontre ne se fait plus entre les Moi, mais entre les ego. Entre eux, les voisins de l’ego, sur les autoroutes de l’information, ont construit un degré plus élevé de confiance.

Il y a plus d’argent en information sur l’argent qu’il y en a en billets. Personne ne s’inquiète. C’est que, avec chaque nouvelle route, quelle que soit la dimension des dangers, c’est en elle que se trouve la réalisation des grandes espérances.

Rien de cela n’est nouveau. Il y a, cependant, une petite différence bien marcante: sur les autoroutes de l’information, notre Moi, individu, occupe toujours sa position dans l’espace. Il ne quitte pas sa place. Ces nouvelles routes permettent, quasi instantanément, le voyage et la communication entre les Moi sans la présence physique des individus des Moi.

Que ce soit en mer, dans l’air, dans l’espace extérieur, sur le chantier, dans l’usine, au bureau, à l’école ou chez nous, chaque fois que nous nous asseyons pour nous faufiler au travers des routes de l’information, nos sièges voyagent dans le temps.

Voyager dans le temps! Pour voyager dans le temps, il nous faut un nouveau code. Les règles pour voyager dans le temps doivent être très, très différentes. Même nous, on pense qu’elles ne peuvent être écrites que dans un livre de prodiges.

Nous nous sentons très orgueilleux de toutes ces sondes que nous envoyons dans l’espace.

Voyager à travers le temps?! Ça, c’est pour la science-fiction. C’est ce que l’on entend dire.

Cependant, quand un enfant vient au monde, où va-t-il? Inexorablement vers le Futur. Il est, par dessus tout, un voyageur du temps.

Par les jours qui courent, les sondes vers l’espace et vers les profondeurs de l’Océan font la une des journaux. Nous leur prêtons une attention personnalisée. Nous mettons à leur disposition, avant leur lancement, les meilleurs spécialistes. Car nous savons qu’il ne peut y avoir de pannes en orbite ou au fond de la mer. Elles seront trop loin pour que nous puissions les réparer.

Et alors, les sondes que nous envoyons en direction au formidable voyage dans le temps, nos enfants? Quand il leur arrivera des problèmes, là-bas, dans le futur, nous ne serons pas là pour les aider. Leur prête-t-on la même attention que pour les sondes qui vont dans l’espace? Non!! On n’a pas le temps! Malgré tous les réseaux de routes terrestres, maritimes, aériennes, l’espace extérieur et l’information.

Oui! Nous continuons à affirmer que nous n’avons pas le temps. Le temps gratuit, un don de Dieu, est devenu rare. L’économie basique nous dit, alors, que le temps doit avoir ses maîtres et doit être côté en bourse. Et les patrons du temps existent. On les nomme, par tradition, entreprises de télécommunications. L’énergie, ce sont les six soeurs qui s’en occupent. Six compagnies détiennent le pétrole. Le temps, lui, il sera la propriété de deux, au maximum, trois.

Ce sont elles qui ont eu l’audace et le courage de déblayer les autoroutes de l’information: des millions de kilomètres de circuits de micro ondes, des millions de kilomètres de fibre optique dans la planète, des centaines de satellites en orbite, des milliers de portes sur la Terre et dans l’espace.

Elles ont compris que l’information est donnée par les êtres humains. On est comme ça. Cela nous vient de la biologie: l’opinion. On paie les annonces. Ça nous fait plaisir quand l’ego d’une autre personne vient nous voir dans le réseau. On est prêt à payer pour la connaissance. On ne le fait ni pour l’opinion, ni pour l’information. C’est pour cela que la facture que nous recevons chez nous, dans nos institutions, ne concerne pas l’information, elle n’a rien à voir avec l’opinion.

Nous payons les moments où notre ego rencontre l’ego de notre prochain sur les autoroutes de l’information. Nous payons le temps. L’ego qui voyage à travers elles règle un péage très, très cher aux patrons du temps. On dirait même que cela nous est égal.

Lorsque notre ego voyage à travers les Océans du temps pour atteindre l’ego d’un autre, nous ressentons et comprenons les mots prononcés par Hamlet:

 

 

Doute que les étoiles soient du feu

Doute que le Soleil se meuve

Doute de la vérité et du mensonge

Mais ne doute jamais que j’aime.

 

Nous savons que, pour l’expression totale de cet amour, il n’existe aucun substitut pour la proximité de nos êtres dans leur complète intégralité. De même qu’il n’y a aucune alternative pour le fer et pour les pierres qui font ce Pavillon des Océans dans cette EXPO ‘98. C’est vrai ce que nous dit le poème d’Edgar Allan Poe:

 

 

Nous ne sommes point impuissantes — nous les pierres.

Notre pouvoir n’est point perdu — ni notre renommée —

Ni la magie de notre noble nom —

Ni la merveille qui nous entoure —

Ni les mystères qui sont en nous —

Ni les mémoires qui ne nous ont point lâchés

Et nous enveloppent comme un habit,

Nous, un manteau nous couvre au-delà de la gloire.

 

Oui, au-delà de la gloire. Au-delà de la mémoire. Au-delà de la magie. Au-delà du merveilleux. Elles sont là pour façonner le temps.

Elles sont le souvenir, pour tous les voyageurs de toutes les ères à venir, de ce que, voilà cinq cents ans, Vasco de Gama et son équipage allèrent jusqu’à la grève. Les Moi effrayés, les ego armés de défi, les hommes de 1498 partirent.

Se lançant à travers le Tage, ils tracèrent une nouvelle route et y apposèrent la signature de leur siècle. A travers les Océans d’eau ils ouvrirent le passage à de nouveaux voisins. La plupart d’entre eux vit dans les océans et au-delà. On n’en connaît pas la plupart. On a seulement le soin d’en aimer quelques-uns, très peu.

Mais en l’année 1498 , une vague de vive-eau a éclaté. Et il plut sur une grande roche. Une Lapa (grotte). Celle-ci rencontra une onde de la terre. La serra da Lapa (chaîne de montagnes de la Grotte). Un miracle d’amour se produisit. Une source se transforma en rivière. Un nouveau langage oecuménique surgit. On construisit un Sanctuaire. Une Mission commença. Dans le Sanctuaire de Nossa Senhora da Lapa (Notre Dame de la Grotte), on entendit une parole de bonne volonté. Aujourd’hui encore on l’entend dans ces parages et elle réverbère par tout le globe, là où il y a un bairro da Lapa (quartier de la Grotte). Cette parole fut, alors, colportée de voisins en voisins, aux quatre coins du monde, sur les océans de l’eau.

Dans les océans du temps, de notre temps, dans cette EXPO ‘98, nous vous laissons les vers de Fernando Pessoa pour que, chaque enfant, chaque voyageur du temps,

 

 

Aime infiniment le fini

Désire impossiblement le possible

Veuille tout

Ou un peu plus

S’il le peut

Ou même s’il ne le peut pas.

 

et parte. Trace son chemin. Trouve une nouvelle route. Très certainement, hors de l’espace...hors du temps. Un de ces jours, il va même nous conduire jusqu’au voisinage de... l’harmonie.

L’eau, elle, y a toujours été.

Il y a cela quelque huit cents ans, peut-être un peu plus, un homme comprit, dans toute sa plénitude, cette harmonie. Il naquit dans cette ville de Lisbonne, à cinq kilomètres environ de ce Pavillon océanographique, le 15 août 1195. L’endroit est toujours là.

Il s’appelait Fernando. Il lut l’oraison de Saint François d’Assise à notre soeur... l’eau. Il se fit franciscain. Il changea son nom pour celui d’Antoine.

Il s’agit de Saint Antoine de Lisbonne. Certains disent qu’il est Saint Antoine de Padoue car c’est là qu’il mourut le 13 juin 1231.

Un jour il partit pour rendre hommage aux océans et à toutes les créatures qui y vivent dedans.

Ce jour-là, saint Antoine lança son regard sur l’Adriatique et vit un grand nombre de ces espèces que nous sommes en train de voir dans ce Pavillon des Océans de cette Expo’98. On dit qu’il leur aura fait sentir combien elles avaient de la chance de vivre dans l’eau. Dieu les avait épargnées de tous les déluges et de la turbulence des autres éléments. On dit aussi que les sentiments d’amour et de fraternité qui irradièrent de sa personne furent tels que les poissons et toutes les autres créatures des Océans s’émurent et se courbèrent devant lui.

Dans ce Pavillon des Océans, de cette EXPO ‘98, c’est maintenant notre tour de saluer nos frères... de l’eau, des Océans, et d’apprendre une mesure d’harmonie.

 

 

 

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